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LIEUX DE MÉMOIRE

Loi du 4 avril 1873

Extraits de
"Les morts pour la patrie - Tombes militaires et monuments "
Paris - 1891
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Clément de Lacroix

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boite verte Tombes situées en France

L'article 16 du traité de paix signé à Francfort le 10 mai 1871 stipule « que les deux gouvernements français et allemand s'engagent réciproquement à faire respecter et entretenir les tombes des soldats ensevelis sur leurs territoires respectifs ».

En exécution de cette disposition le gouvernement allemand promulgua le 2 février 1872 une loi spéciale réglant les mesures à prendre au sujet des tombes militaires des deux parties belligérantes situées en Alsace-Lorraine.

De son côté le Gouvernement de la République déposa un projet de loi qui a été adopté le 4 avril 1873 et qui a pour but d'assurer la conservation des tombes des soldats français et allemands inhumés en France.

En conséquence, à partir de cette époque, un vaste travail a été entrepris par le ministère de l'intérieur pour rechercher les sépultures disséminées sur les champs de bataille, et pour élever sur les plus importantes des monuments commémoratifs.
On s'étonnera peut-être que le ministre de l'intérieur soit intervenu dans cette question, mais, comme il s'agissait de réunir les restes de nos soldats dans les cimetières dépendant de l'autorité municipale, le ministère de la guerre était moins en situation d'agir auprès des maires; c'est pourquoi l'exécution de la loi fut confiée au ministre de l'intérieur, de concert avec son collègue des affaires étrangères pour toutes les questions diplomatiques que les tombes allemandes ne pouvaient manquer de soulever.

En attendant le délai de cinq ans fixé par le décret du 23 prairial an XII, pour procéder aux exhumations, les préfets prirent d'urgence des mesures afin d'assurer sur les champs de bataille le respect des sépultures.
Dans certains départements l'administration chargea des gardes spéciaux de la surveillance des tombes isolées et fit planter des croix et des piquets autour des tumuli, afin de permettre d'en reconnaître les emplacements.
Ce ne fut donc qu'à partir de 1876 que commencèrent les travaux d'exhumation et de concentration, et encore dans les localités qui avaient été le théâtre de combats sanglants les corps enterrés en grand nombre et à la hâte dans les champs, à des profondeurs peu considérables, ne purent être déplacés sans inconvénient pour la salubrité publique; il fallut, suivant les circonstances, ajourner les recherches qui se sont prolongées pendant plusieurs années et n'ont été généralement terminées qu'en 1880.

Les soldats français et allemands avaient été inhumés, soit dans des fosses communes d'une grande surface, soit dans des tombes isolées et ces tombes étaient situées la plupart dans les champs, quelques-unes dans les cimetières communaux.
On ne pouvait les laisser ainsi éparses. Les propriétaires des terrains occupés dans les campagnes par les sépultures demandaient à en reprendre possession pour continuer leurs exploitations.
Le Gouvernement décida donc que les tombes seraient autant que possible concentrées et, qu'en règle générale, celles qui étaient situées dans les champs seraient transférées dans des terrains concédés perpétuellement à l'État dans les cimetières communaux.
Dans tous les départements envahis et dans 1400 communes environ, des tombes spéciales ont été ainsi consacrées aux soldats français et allemands toutes les fois qu'il a été possible, par les restes d'uniformes ou autres insignes, de distinguer la nationalité.
Des concessions perpétuelles, de surfaces proportionnées aux inhumations, ont été achetées aux communes par l'État et chaque tombe a été entourée d'une grille d'un modèle uniforme porlant dans un médaillon l'inscription:
Tombes militaires, loi du 4 avril 1873.
Pour les sépultures importantes et aux environs des principaux champs de bataille le ministère de l'intérieur a fait construire des caveaux ou ossuaires sur lesquels on a édifié des monuments funéraires.

L'œuvre de l'État s'est appliquée dans trente-six départements à plus de 87396 tombes, disséminées dans 1 438 communes.
Les comités privés et les municipalités ont érigé 349 monuments; les familles en ont élevé 88; l'autorité allemande 69 ; enfin le gouvernement français a fait construire 25 grands ossuaires.
La dépense totale acquittée sur les fonds du Trésor atteint la somme de 2 287 896 fr.
Cette œuvre, achevée en 1880, se continue encore par des soins annuels d'entretien.
Un crédit a été inscrit au budget pour permettre de conserver partout les tombes en bon état, mais, détail à signaler, la plupart des communes ont refusé les subventions qui leur ont été offertes.
Dans le département de la Seine notamment, où les combats du siège de Paris ont peuplé les cimetières de sépultures, toutes les municipalités, sans exception, ont tenu à honneur d'entretenir à leurs frais les tombes des soldats tués pendant la guerre.
El cet engagement, qui témoigne du patriotisme des populations, est scrupuleusement tenu par les habitants eux-mêmes.

J'ai visité plusieurs cimetières aux environs de Paris.
C'est un triste itinéraire qui fait revivre des souvenirs de deuil national.
Partout sur les tombes on remarque des fleurs et des couronnes.
Souvent la tombe allemande se trouve à côté de la tombe française; elle est entourée des mêmes soins.
On peut citer en particulier Antony, Bagneux, Châtenay, Choisy-le-Roi, Clamart, Maisons-Alfort, Montreuil.
0n pourrait nommer d'autres communes, car partout les tombes de 1870 sont l'objet du même culte.
Il ne s'agit pas ici des monuments importants et connus de tous, tels que Champigny, Buzenval, Châtillon, mais des sépultures ignorées, isolées au fond des campagnes et qui sont néanmoins pieusement honorées après vingt ans, comme si les morts qu'elles renferment étaient des parents, des amis récemment perdus.
C'est là la vraie tombe du soldat, du pauvre moblot, tué loin de son foyer, et qui reste inconnue, anonyme, n'affirmant qu'une chose, c'est qu'un Français est tombé là pour son pays, et cela suffit pour la préserver de l'indifférence des passants.
Devant cette tombe sans nom les souvenirs de guerre reviennent à l'esprit mêlés à un instinctif respect et l'on s'arrête pénétré d'une inexprimable émotion.

Que de pensées s'éveillent en effet devant ces pierres muettes! Chacune rappelle un drame :
A Orly (Seine), c'est la tombe d'un jeune homme, Yvan Provost, qui, porteur de dépêches, fut surpris par les Prussiens dont il franchissait les lignes et fusillé sur place le 3 janvier 1871. Une inscription gravée sur la dalle rappelle l'acte de dévouement de ce brave âgé de dix-neuf ans.
A Épinal, c'est la sépulture de Dubois, le vieux soldat d'Afrique et de Crimée, qui, à l'entrée des Allemands dans la ville, seul dans la rue, attendit, fit feu sur l'ennemi, tua l'officier d'avant-garde et tomba criblé de balles.

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A Laon, c'est Henriot, le garde du génie, qui fit sauter la citadelle pour ensevelir avec lui 200 Bavarois.
A Cussey-sur-Ognon (Doubs), c'est l'instituteur Michaud, fusillé pour avoir voulu sonner le tocsin.
A Saint-Georges, près Beaume-les-Dames, c'est le maire du village, éventré à coups de baïonnettes.
Dans les Ardennes, c'est le curé d'Aubigny, tué pour avoir refusé d'ouvrir son église aux uhlans.
Chaque tombe a son histoire d'héroïsme que la tradition répétera et la tombe loujours conservée fera vivre la tradition.

Depuis 1871, on a vu à la fois sur tous les points de la France des citoyens animés des plus purs sentiments patriotiques, se réunir en comités, faire appel à la générosité publique, recueillir des souscriplions et couvrir les tombes de monuments funéraires, secondant ainsi l'œuvre de l'État, à laquelle se sont associés les départements et les communes.
Ce mouvement d'opinion est loin d'être calmé.
Tout récemment encore s'est constituée à Paris une société, dite du Souvenir français, qui a pour but de rechercher les sépultures oubliées et d'élever des monuments partout où des faits d'armes particuliers lui sont signalés.
Cette société, présidée par M. le général Lewal, ancien ministre de la guerre, continue en France avec un zèle infatigable la mission que s'était imposée l'œuvre des tombes pour nos soldats décédés en Allemagne.

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boite verte Tombes situées en Allemagne

Aux termes de la loi allemande du 2 février 1872, des concessions perpétuelles ont été acquises pour la conservation des tombes françaises situées en Alsace-Lorraine et le gouvernement allemand a pris à sa charge les soins nécessaires à leur entretien.

Mais, indépendamment des soldais qui sont tombés dans les combats de l'armée du Rhin, près de 400 000 prisonniers de guerre ont été internés dans 259 villes d'Allemagne et plus de 18000 ont succombé à la suite de blessures ou de maladies.
Alors, malgré la misère de la captivité, officiers et soldats, se cotisèrent pour laisser une sépulture honorable à ceux qui ne devaient pas revoir la France.

A Landshut, ils n'avaient pas d'argent; ils demandèrent une pierre, la travaillèrent de leur mieux et y gravèrent les noms des camarades décédés.

A Magdebourg, sur l'initiative du commandant Marinier, deux monuments furent élevés, dont l'un, dû au ciseau d'un mobile, premier prix de Rome, contient un bas-relief remarquable représentant un soldat mourant le drapeau français dans les bras.

Grâce aux souscriptions de l'armée, des mausolées furent érigés dans 59 villes.
Ces monuments, en pierre, d'un type uniforme et composés de deux marches, d'un piédestal et d'une croix, portent ordinairement celte inscription : Aux soldats français, décédés en 1870-1871. Souscription de leurs frères d'armes.
Quelques-uns sont très importants, en raison du grand nombre de sépultures qu'ils protègent. Je citerai ceux d'Ulm, de Mayence, de Magdebourg et de Spandau.

Malheureusement, il ne fut pas possible, pendant la captivité, d'élever des monuments dans toutes les villes où nos soldats étaient internés.
Mais, dès la conclusion de la paix, l'œuvre née au sein de l'armée prisonnière se développa.
Un comité fut constitué à Cette, au mois de mars 1871, sous la présidence de M. Saint-Pierre.
Un premier appel fut adressé aux journaux du Midi ; bientôt de toute la France les souscriptions affluèrent ; le comité put se mettre à l'œuvre.
Avec l'aide de la Société Française de secours aux blessés et sous la direction d'un aumônier militaire, le P. Joseph, des mausolées furent élevés dans 171 localités, qui presque toutes ont concédé les terrains des cimetières à titre gratuit. Les monuments, presque toujours en pierre, quelquefois en marbre, rarement en fer, sont aussi composés de deux marches, d'un piédestal et d'une croix.
Les inscriptions sont presque partout identiques :
A la mémoire des soldats français, décédés en 1870-1871. Nune meliorem patriam appetunt.
Erigé par leurs compatriotes;
ou Erexit matris patrix pietas ; ou : Erexit patria maerens.
Les plus remarquables sont ceux de Rastadt, érigé par les soins du commandant du Petit-Thouars; Munich, Dilingen, Glogau; celui de Leipzig, dû à la généreuse souscription de M. Théodore Wurtz, résidant français en cette ville, qui avait prodigué son dévouement à nos prisonniers, et enfin celui de Cologne qui renferme les restes de 860 soldats.

L'œuvre des tombes a excité l'admiration de l'Europe et les journaux allemands eux-mêmes ont rendu à la charité de la France un juste hommage.
On lit dans le Colnische Volkszeitung, 15 août 1872 : « La touchante sollicitude de la France envers ses 400,000 soldats prisonniers en Allemagne en 1870-1871 élait vraiment sans exemple dans les annales des nations, mais le soin qu'elle prend pour honorer la mémoire de ses guerriers qui ont succombé chez nous nous pénètre d'une estime encore plus profonde.
Le nombre des villes où ses soldats succombèrent s'élève à plus de 200. Malgré cela, elle a trouvé moyen de soigner convenablement leurs lombes et d'y faire ériger partout un mausolée.
Il paraît que des ressources ont été recueillies en si grande abondance, que l'on ne saurait trop admirer une nation qui, malgré ses ruines, est capable de pareils sacrifices pour ceux de ses fils qui ont succombé, et on se demande involonlairement : Que fait donc l'Allemagne pour ses soldats qui reposent sur le sol français ? »

Après l'achèvement des travaux un décret impérial a mis à la charge des municipalités allemandes l'entretien des monuments et des tombes de nos soldats. Leur conservation est donc assurée.

Mais ces tombes d'Allemagne, si éloignées de France, qui donc les visite jamais ?
A Berlin, à Potsdam, à Spandau c'est notre ambassadeur, les attachés militaires, et la colonie française qui, chaque année le 1er novembre, vont déposer des fleurs.
Dans quelques grandes villes ce sont nos consuls, mais ailleurs ? Personne ; à moins qu'un passant ne s'arrête par hasard.
Mais les Français ne voyagent pas en Allemagne et les morts de 1870 y sont peut-être oubliés (1).

Dans l'Alsace-Lorraine néanmoins le culte survit comme un lien de famille, car le deuil est commun.

Il y a quelques mois, de passage à Strasbourg, je pris à la gare un fiacre pour parcourir la ville.
Le cocher me devinant Français sauta vivement sur son siège.
Mais aux abords de l'arsenal, changeant tout à coup d'itinéraire, il s'engagea dans des rues désertes et s'arrêta près d'un enclos voisin.
« Tenez, me dit-il tout bas, ils sont là, les camarades. » Je descendis.
A travers une grille on voyait comme un terrain vague où l'herbe verte poussait ; au milieu d'un tertre quelques croix plantées en terre.
Pendant que le cocher guettait der polizei, je courus chez un marchand de fleurs et à travers les barreaux je jetai mon bouquet comme un adieu aux braves compagnons d'Uhrich dont on ne peut même approcher.
Le cocher se tenait près de moi, tête nue, et brusquement nous nous serrâmes les mains.
« J'étais avec Faidherbe », disait-il plus bas, le regard fixé sur le tertre.

Que les touristes des Vosges et des bords du Rhin se détournent parfois de leur route, ne serait-ce que pour s'arrêter un instant devant nos tombes d'Allemagne. Ils trouveront des amis pour les y conduire.


(1) Le 1er août 1889, une mission composée de MM. Poubelle, préfet de la Seine, Adolphe et Sadi Carnot, frère et fils du Président de la République, de Lacroix, de Beaucaire, Guérin et Rousselot, vint à Magdebourg chercher les restes de Lazare Garnot pour les transporter en France, où ils furent inhumés au Panthéon.
A cette occasion, la mission visita les tombes des soldats français décédés en captivité à Magdebourg, au nombre de 1044, fit restaurer le monument élevé dans le vieux cimetière militaire et y déposa plusieurs couronnes. Au nom de la municipalité de Magdebourg, M. Bœtticher, bourguemestre de la ville, eut le soin de faire orner de fleurs les concessions, désirant ainsi s'associer à l'hommage rendu à la mémoire de nos compatriotes.